Le harcèlement moral

Amorcée aux États-Unis et au Canada dès les années 1980, la reconnaissance de forme de violence que constitue le harcèlement moral a peu à peu gagné l’Europe. En 1993 paraissait ainsi l’essai du chercheur suédois Heinz Leymann intitulé Mobbing, première véritable étude menée exclusivement sur la notion de harcèlement moral. En France, la notion n’est apparue que plus récemment, dans  l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, édité en 1998.Cette dernière y définit cette forme de violence comme « toute conduite abusive se manifestant par un comportement fautif répété et dont le caractère vexatoire, humiliant ou attentatoire à la dignité perturbe l’exécution du travail de la personne qui en est victime ». De manière générale, l’expression harcèlement moral au travail désigne un processus d’agression à caractère psychologique qui survient entre des personnes d’une même organisation ; ce processus se différencie ainsi du strict harcèlement sexuel, avec lequel il entretient cependant des liens certains.

Les actes hostiles subis par le harcelé peuvent être de nature variée : agressions directes ou indirectes, plus subtiles. Il s’agit souvent de faits qui pris isolément apparaissent insignifiants, mais dont la répétition et le caractère permanent et persistant provoquent des conséquences néfastes pour le harcelé. Le caractère répétitif du harcèlement moral est ainsi un élément clé de sa définition, puisqu’il autonomise son existence et sa réalité par rapport à la volonté du harceleur (voir en ce sens la définition juridique du harcèlement dans l’arrêt Cass. Ch. Sociale du 10 novembre 2009).

Outre les troubles psychologiques que le harcèlement provoque chez le harcelé, des conséquences de type organisationnel apparaissent aussi pour l’entreprise/l’organisation dans laquelle a lieu le harcèlement moral : élévation de l’absentéisme, du turn-over, impact négatif sur la productivité et la performance, coûts liés au règlement des litiges, perte de réputation et d’image… Le harcèlement moral pose ainsi une question de coût en termes économiques et de ressources humaines.

La notion de harcèlement moral dépasse donc la simple relation psychologique qui peut unir des individus entre eux. Dans ses conséquences d’abord, puisqu’elle comporte comme on l’a vu une dimension organisationnelle.

Dans ses causes également, car elle résulte plus globalement d’une évolution dans l’approche même de la notion de travail. La violence morale qui sous-tend le harcèlement moral est ainsi diffuse, et « pollue » l’environnement professionnel du salarié Elle ne peut donc échapper à une analyse du contexte actuel du travail au sens large, tant en ce qui concerne le lieu et les conditions de son exercice dans l’organisation, qu’en ce qui concerne les facteurs exogènes à l’entreprise.

Le temps de l’apparition de la notion n’est en effet pas étranger à la période paradoxale qui a suivi celle des Trente Glorieuses, et qui a vu simultanément s’améliorer et se dégrader les conditions de travail des salariés. Globalement, il est certain que la pénibilité purement physique du travail n’est plus aussi importante qu’il y a trente ans. La présence sur les lieux de travail peut en outre être aménagée, et l’est d’ailleurs de plus en plus. La contrainte physique n’est plus aussi évidente, voire semble avoir disparu ; les liens entre salarié et employeur paraissent plus souples.

Toutefois cette souplesse s’accompagne aussi de pressions plus importantes pour le salarié, qui loin de distendre le lien qu’il entretient avec son travail, le contraignent beaucoup plus moralement et mentalement. Le chômage chronique et le contexte de crise économique constituent par exemple des facteurs extérieurs à l’entreprise qui lient véritablement le salarié à sa tâche. La processualisation des méthodes de travail représente un autre de ces facteurs de contrainte mentale, mais cette fois depuis l’intérieur de l’organisation, guidée depuis la fin des années 1990 par une approche purement financière des activités économiques.

Le contexte de concurrence accrue et permanente entre individus apparaît comme l’un des facteurs synthétiques expliquant l’existence du harcèlement moral, d’autant plus mis à l’index dans l’entreprise que celle-ci représente le lieu où l’obligation de réussite se concrétise le plus fortement, et constitue un impératif absolu au nom du seul profit. Une telle approche de l’activité de l’entreprise, et donc de la gestion des ressources humaines, est aujourd’hui ouvertement remise en cause, puisque anéantissant le sens même du travail pour les salariés qui ne se sentent plus légitimement écoutés par leur organisation.

A travers la notion de harcèlement moral, c’est donc bien d’abord une question politique qui est posée, celle du sens que l’on souhaite donner à la notion fondamentale du travail. L’entreprise doit évidemment rester un centre de création de richesses et de profit, mais elle doit aussi préserver le capital humain qui la constitue.

REFERENCES :

- Revues

  • Décrire les comportements responsables face au harcèlement moral : apports et limites du cadre descriptif de la théorie des parties prenantes, François GRIMA et Renaud MULLER, Revue de l’organisation responsable, n°2, novembre 2009.
  • Harcèlement psychologique au travail : processus relationnels et profils de victimes. Approche processuelle, intégrative et dynamique d’un phénomène complexe, D. FAULX et P. DETROZ, Le Travail Humain, tome 72, no 2/2009, 155-184.
  • Ce que révèle la crise des limites des approches économiques de la GRH. Capital humain : un concept économique dans l’impasse?, Fabienne AUTIER, Revue Management et Avenir, n°31
  • L’impact des modes de gestion des cadres sur le stress au travail, Nathalie TESSIER, Revue management et avenir, n°8.

-Emission radiophonique

Le suicide peut-il être une faute imputable à l’employeur ?, par Antoine GARAPON, avec Charlotte DUDA et Rachel SAADA, Emission le Bien Commun du 9 mars 2010, France Culture.

-Jurisprudence

Cour Cass. Ch. Sociale 10 novembre 2009, n°08-41497

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000021270373&fastReqId=78983936&fastPos=2

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